Un monde à la croisée des chemins : comment le World Energy Outlook 2025 trace la voie de la décarbonation industrielle

L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a publié l’édition 2025 du World Energy Outlook. Ce document offre un panorama complet des besoins énergétiques actuels et à venir, de l’évolution des équilibres entre les différentes sources d’approvisionnement énergétique, et esquisse des perspectives selon les politiques menées par les États.

En 2024, la consommation d’énergie primaire mondiale a franchi un seuil marquant, avec une consommation globale d’énergie s’élevant à 650 EJ. Les combustibles fossiles représentaient encore une large majorité – près de 80 % selon l’IEA.[1]


Si la demande totale d’énergie continue d’augmenter, ce sont surtout les économies émergentes (Asie, Afrique, Amérique latine) qui concentrent cette dynamique. Selon le WEO 2025, dans le scénario des politiques actuelles (CPS : Current Policies Scenario), la consommation d’énergie primaire pourrait augmenter de l’ordre de 15 % d’ici 2035 (~ +90 EJ) par rapport à aujourd’hui.[2]


Ce constat souligne un double défi : combiner croissance économique et transition énergétique, puisque les pays à revenu élevé voient déjà leur consommation énergétique par habitant plafonner tandis que les pays en développement augmentent fortement leurs besoins.

L’IEA structure son analyse autour de trois grandes trajectoires :

ScénarioHypothèse principaleConséquences clés pour l’industrie et les émissions
CPS (Current Policies)Seules les politiques déjà mises en œuvre sont prises en compte.Demande d’énergie croissante, combustibles fossiles encore dominants, émissions mondiales d’énergie-CO₂ proches de 40 Gt/an dans les années 2030.[3]
STEPS (Stated Policies)Intègre les engagements publics annoncés mais non nécessairement contraignants.Accélération des renouvelables, le charbon atteint un pic avant 2030, mais les objectifs climatiques (1,5 °C) restent hors de portée. Par exemple : usage pétrolier plafonne à ~102 mb/j vers 2030.[4]
NZE (Net Zero by 2050)Trajectoire ambitieuse : prix du carbone élevé, forte électrification, capture du CO₂.Les émissions d’énergie-CO₂ chutent de ~38 Gt en 2024 à moins de 10 Gt à l’horizon 2035, puis près de zéro vers 2050. Même dans ce cas de figure, un dépassement de 1,5 °C est probable avant un retour sous ce seuil.[5]

Ces scénarios ne sont pas des prévisions mais des explorations : ils aident à visualiser les conséquences de choix politiques, technologiques et économiques.

3.1. Une explosion des renouvelables

L’édition 2025 du WEO souligne que l’« ère de l’électricité » est désormais engagée : la demande d’électricité croît beaucoup plus vite que la demande énergétique globale.[6]


Dans le scénario STEPS, la part des renouvelables dans la production d’électricité dépasse 50 % d’ici 2035, grâce à la chute rapide des coûts du solaire PV et de l’éolien.[7]

 
Par exemple, il est à observer que :

Cette transition vers une électricité majoritairement renouvelable repose pourtant sur des matériaux que l’on ne trouve pas partout : les minéraux critiques.

3.2. Le nucléaire : un retour remarqué

Le rapport note aussi un retour du nucléaire – avec une cinquantaine de pays évoquant le nucléaire dans leurs stratégies – et des projets de réacteurs modulaires (SMR).[10] Le nucléaire joue le rôle d’appoint stratégique pour compenser la variabilité des renouvelables dans un système fortement électrique.

3.3. Combustibles fossiles : en retrait mais toujours présents

Dans tous les scénarios, charbon, gaz et pétrole ne disparaissent pas du jour au lendemain. Exemple : sous le STEPS, la demande de pétrole atteint un pic autour de 102 Mb/j vers 2030.[11]


Concernant le gaz et le GNL : la capacité d’export GNL est estimée à ~300 milliards de m³ (≈300 bcm) d’ici 2030, reflétant une forte dynamique de l’offre.[12]
Cette persistance des combustibles d’origine fossiles renforce l’idée que la transformation industrielle devra autant se concentrer sur la réduction et le remplacement que sur l’élimination pure et simple.

L’un des messages forts de l’édition 2025 est que la « sécurité énergétique » ne se limite plus à l’accès au pétrole/gaz mais concerne aussi les chaînes d’approvisionnement en minéraux stratégiques (nickel, cobalt, terres rares, etc.). Selon l’IEA, un seul pays, la Chine, contrôle environ 70 % du raffinage de 19 sur 20 minéraux critiques.[13]
Pour l’industrie lourde – acier, batteries, électronique – cela signifie :

5.1. Le poids du secteur

L’industrie représente environ 35-40 % de la consommation finale d’énergie et près de 30 % des émissions de CO₂. Cette proportion fait de la décarbonation industrielle un pilier central de la transition énergétique mondiale.

5.2. L’efficacité énergétique : premier levier

Le rapport note que l’amélioration de l’efficacité énergétique reste le levier le plus rentable et accessible. Toutefois, le rythme d’amélioration stagne : les gains rapides « faciles » sont en grande partie réalisés.
Cela implique que pour l’industrie, passer à la vitesse supérieure nécessitera des stratégies d’efficacité de nouvelle génération : récupération de chaleur, optimisation par IA, digitalisation, etc.

5.3. Electrification industrielle

L’un des leviers fondamentaux est de remplacer les systèmes thermiques à combustibles fossiles par des équipements électriques dans l’industrie (fours à induction, électro-réduction, etc.). Dans les secteurs comme l’acier (DRI + EAF) ou le ciment (fours oxy-fuel, substitution de matières premières) les gains peuvent être de l’ordre de –30 % à –50 % d’ici 2030/2035.
Mais l’IEA rappelle que le succès dépend fortement du prix de l’électricité, de la compétitivité des nouvelles technologies et de l’infrastructure réseau.

5.4. Hydrogène vert et nouveaux carburants

Le WEO 2025 pointe une montée en puissance de l’hydrogène à faibles émissions, mais note également que la trajectoire est plus tardive qu’elle ne l’était dans de précédent scénarios (l’objectif 2030 a été révisé à la baisse).[14]
Pour l’industrie lourde, l’hydrogène représente un vecteur clé de substitution (sidérurgie, chimie), mais nécessite déploiement massif et baisse des coûts.

5.5. Capture, utilisation et stockage du carbone (CCUS)

Le CCUS demeure un levier indispensable pour les secteurs difficiles à électrifier, mais dans le WEO 2025, il est rappelé que les ambitions – des gigatonnes de CO₂ capturées/an d’ici 2035 – restent largement hors d’atteinte sans politiques et financements d’envergure.

6.1. Tarification du carbone

Un prix élevé du carbone est l’instrument le plus puissant pour orienter le système industriel vers la décarbonation. Le WEO 2025 confirme ce rôle mais indique que beaucoup de pays émergents restent à des niveaux trop bas pour induire des ruptures technologiques.

6.2. Subventions à l’électrification et à l’hydrogène

Les aides publiques (crédits d’investissement, garanties, etc.) seront essentielles pour combler l’écart entre les technologies actuelles et les technologies futures dans l’industrie.

6.3. Normes, reporting et régulation

Des normes plus sévères d’efficacité énergétique, des obligations de reporting (Scope 1 à 3), et des quotas de capture CO₂ deviennent de plus en plus la norme dans certains pays-leaders.

6.4. Financement et partenariats public-privé

Le rapport rappelle qu’un investissement de l’ordre de ≈ 1 000 milliards $/an dans l’industrie et l’infrastructure énergétique est nécessaire d’ici 2030 pour suivre la trajectoire NZE. Les mécanismes de financement – fonds verts, obligations climatiques, garanties – doivent être mobilisés au niveau mondial.

L’industrialisation de la transition repose aussi sur les technologies numériques : l’IA, le big data, l’IoT industriel permettent des gains d’efficacité jusqu’à 10 % (détection des pertes énergétiques, gestion en temps réel, optimisation des procédés). Ces leviers sont déjà économiquement rentables et peuvent servir de levier immédiat pour de nombreuses entreprises.

Le WEO 2025 fait apparaître deux piliers incontournables pour une industrie neutre en carbone :

Trois scenarii illustrent des trajectoires possibles :

En somme : le futur de l’industrie ne dépend plus uniquement de ce qu’elle produit, mais de comment elle le produit. L’enjeu est celui de maîtriser l’énergie, la matière et le carbone ; et pour y parvenir, il faut des choix – technologiques, financiers, stratégiques – aujourd’hui.

WorldEnergyOutlook2025Télécharger


[1] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/executive-summary

[2] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/current-policies-scenario

[3] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/current-policies-scenario

[4] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/stated-policies-scenario

[5] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/executive-summary

[6] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/overview-and-key-findings

[7] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/stated-policies-scenario

[8] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/executive-summary

[9] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/executive-summary

[10] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/executive-summary

[11] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/stated-policies-scenario

[12] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/executive-summary

[13] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2025/executive-summary

[14]https://www.reuters.com/sustainability/climate-energy/iea-cuts-2030-low-emissions-hydrogen-production-outlook-by-nearly-quarter-2025-09-12/


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