La Suède, pionnière de la décarbonation de l’industrie ?

Alors que de nombreux pays européens peinent encore à verdir leurs industries lourdes, la Suède s’impose comme un laboratoire grandeur nature de la transition. Entre 1990 et 2013, ses émissions de CO₂ ont chuté de 22 % selon Eurostat. Si ce chiffre reste significatif, il traduit une dynamique : celle d’un pays qui s’est fixé l’objectif ambitieux de devenir un « État-providence sans énergie fossile » d’ici 2045. Pour l’industrie, qui représente 30 % des émissions nationales, la barre est encore plus haute : atteindre des émissions nettes négatives.

Source: Energy Policy Review Sweden 2024 – IAE

Le modèle suédois repose sur un triptyque efficace : réglementation exigeante, innovation technologique et énergie propre. Dès 1991, Stockholm a instauré une taxe carbone, aujourd’hui l’une des plus élevées au monde (1 510 couronnes suédoises par tonne de CO₂, soit environ 137,30€). Combinée au marché européen du carbone, elle incite les industriels à revoir leurs pratiques.

Autre atout décisif : un mix électrique à 99 % bas carbone, porté par l’hydroélectricité, le nucléaire et l’éolien. Cette électricité décarbonée facilite l’électrification des procédés lourds et l’intégration progressive de l’hydrogène vert comme substitut aux combustibles fossiles. La Suède est d’ailleurs pionnière dans la production d’acier vert à base d’hydrogène non fossile.

Le mix électrique de la Suède en 2024/2025

Source: LowCarbonPower

Pour autant, la route vers la neutralité carbone reste difficile. Les procédés industriels, notamment dans la sidérurgie et le ciment, demeurent particulièrement énergo-intensifs. Substituer le charbon ou le coke par de l’hydrogène vert nécessite des investissements massifs et une montée en puissance considérable de la production d’électricité renouvelable. Le renforcement du réseau électrique devient ainsi un impératif stratégique.

La compétitivité internationale représente un autre défi. Face à des pays où la fiscalité carbone est faible, les industriels suédois sont confrontés à une problématique de gestion de leurs coûts. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne sera déterminant pour limiter les risques de délocalisations dites « fuites de carbone ».

La Suède ne manque pourtant pas de projets emblématiques. À Luleå, le projet HYBRIT, fruit d’une alliance entre SSAB, LKAB et Vattenfall, démontre qu’il est possible de produire du fer et de l’acier sans énergie fossile. L’ambition : réduire à lui seul 10 % des émissions nationales de CO₂. Le principe repose sur le remplacement du coke de charbon, traditionnellement utilisé pour extraire l’oxygène du minerai de fer, par de l’hydrogène vert produit à partir d’électricité renouvelable. Au lieu de générer du dioxyde de carbone lors de la réduction du minerai, le processus ne rejette que de la vapeur d’eau. Une rupture technologique qui pourrait, à terme, supprimer la quasi-totalité des émissions liées à la sidérurgie.

Autre projet phare de la transition suédoise, l’aciérie en construction à Boden, dans le nord du pays, illustre l’ambition de transformer radicalement la sidérurgie. Portée par la société H2 Green Steel, fondée en 2020, cette usine a pour objectif de produire de l’acier décarboné à grande échelle, en utilisant de l’hydrogène vert à la place du charbon. L’investissement est considérable : environ 5,5 milliards d’euros mobilisés pour bâtir un site industriel susceptible de devenir l’un des plus modernes d’Europe. À pleine capacité, l’usine vise une production annuelle de 5 millions de tonnes d’acier vert, permettant de réduire les émissions de CO₂ de près de 95 % par rapport aux procédés traditionnels.

L’exemple de la Suède illustre la que la décarbonation de l’industrie peut être construite de concert par les acteurs publics et privés d’un pays. Si les défis techniques, financiers et géopolitiques demeurent, la décarbonation industrielle n’est pas seulement un impératif climatique, elle représente également une opportunité économique et technologique.

En transformant ses industries lourdes, la Suède ne se contente pas de réduire ses émissions : elle façonne un modèle durable visant à concilier développement industriel et responsabilité climatique.


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